« Préface » de
Forme et Substance dans les Religions

par

Frithjof Schuon

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En lisant les essais contenus dans ce recueil, on remarquera que nous avons en vue, moins l’information traditionnelle pure et simple que l’explication doctrinale intrinsèque, c’est-à-dire l’énonciation des vérités dont les dialectiques traditionnelles constituent les revêtements ; aussi n’est-ce pas en historien des idées, mais en porte-parole de la philosophia perennis que nous exposons diverses formulations de la vérité de partout et de toujours. Comme dans notre livre « Logique et Transcendance », nous avons l’intention d’offrir dans le présent recueil rien de moins qu’une doctrine essentielle, intégrale, homogène et suffisante ; nous dirions volontiers une « philosophie » ou une « théosophie » si ces mots étaient disponibles sans risque de contresens.

Un point qui semble toujours avoir échappé aux rationalistes de fait, c’est qu’il y a nécessairement un écart entre l’expression et la chose à exprimer, donc entre la doctrine et la réalité ; il est toujours possible de reprocher à une doctrine suffisante d’être insuffisante puisqu’aucune doctrine ne peut s’identifier à ce qu’elle entend exprimer ; aucune formulation ne saurait rendre compte de tout ce que d’innombrables besoins de causalité peuvent exiger à tort ou à raison. Si l’expression pouvait être absolument ou sous tout rapport adéquate et exhaustive, — comme le veut une critique philosophique a priori collée aux mots, — il n’y aurait plus aucune différence entre l’image et son prototype et il n’y aurait plus lieu de parler ni de pensée ni même simplement de langage. En réalité, la pensée doctrinale est là pour fournir un ensemble de points de repère, par définition plus ou moins elliptiques mais en tout cas suffisants pour amener la perception mentale de tels aspects du réel. C’est tout ce qu’on est en droit de demander à une doctrine ; le reste est affaire de capacité intellectuelle, de bonne volonté et de grâce.

Tout a déjà été dit, et même bien dit ; mais il faut toujours à nouveau le rappeler, et en le rappelant, faire ce qui a toujours été fait : actualiser dans la pensée les certitudes contenues, non dans l’ego pensant, mais dans la substance transpersonnelle de l’intelligence humaine. Humaine, l’intelligence est totale, donc essentiellement capable d’absolu et, par là même, de sens du relatif ; concevoir l’absolu, c’est aussi concevoir le relatif en tant que tel, et c’est ensuite percevoir dans l’absolu les racines du relatif et, dans celui-ci, les reflets de l’absolu. Toute métaphysique et toute cosmologie transcrivent en dernière analyse ce jeu de complémentarité propre à la Mâyâ universelle, et inhérent, par conséquent, à la substance même de l’intelligence.

Pour en revenir à notre livre, nous dirons que sa dialectique est forcément fonction de son message ; elle ne saurait tenir compte des prétentions exorbitantes d’une psychologie — voire d’une biologie — tendant à se substituer absurdement à la philosophie et à la pensée tout court. On ne peut nous reprocher en bonne logique d’utiliser un langage naïf et désuet, alors que précisément notre dialectique se justifie essentiellement par son contenu, lequel est fonction de l’Immuable.

Il n’y a pas d’exterritorialité spirituelle ; existant, l’homme est solidaire de tout ce qu’implique l’Existence. Connaissant, nous sommes appelés à connaître tout l’intelligible ; non ce qui l’est selon notre commodité, mais ce qui l’est selon la capacité humaine et selon la nature des choses.